Qu’est-ce que vieillir ? Ce mot désigne l’étape de la vie qui précède sa fin nécessaire et naturelle, car notre vie n’a pas vocation à durer indéfiniment ? Vieillir, pourrait-on dire, c’est grandir, tout simplement.
Mais pour la plupart d’entre nous, ce simple mot peut devenir une source d’angoisse et de questionnements nombreux. Comment appréhender cette étape ? Comment l’accepter alors même qu’elle est le signe que l’on se rapproche inexorablement de la mort ?
Grandir ou vieillir ?
Pourquoi changer de terme, si ce n’est pour se faire peur ? Si les deux signifient la même chose : prendre de l’âge, il s’agit bien de deux mouvements différents. Alors à quel moment passe-t-on de « grandir » à « vieillir » ?
Grandir est un terme très positif. Synonyme de jeunesse, d’apprentissage, de développement, grandir est le fait de celui qui a la vie devant soi. Le corps est en bon état de marche, il est beau et dynamique, l’esprit est agile et assoiffé de nouveauté.
Le second terme a une connotation négative : associé à la mort, à la fin des possibles offerts par la jeunesse. Il est signe d’incapacité, de limitation. Vieillir nous coupe dans l’élan vital de nos jeunes années : nous ne pouvons plus pratiquer les mêmes activités, nous devons changer notre rythme, arrêter de travailler. Tout cela en raison du corps qui change et subit les marques du temps passé.
Opposer les deux termes donne fatalement cette triste image de la vie. Nous grandissons, puis cette dynamique s’arrête et nous passons au vieillissement, comme si la courbe, stoppée dans son élan, amorçait un mouvement descendant qui sera le dernier. Passé ce point de non retour, il n’y aurait plus rien à faire. On serait condamné. Et les signes sont nombreux.
On ne parle de vieillissement en termes élogieux que pour le vin et le fromage : c’est là que se développent les meilleurs arômes, les parfums les plus subtils. C’est d’ailleurs en sachant accompagner les uns par les autres que l’on fait les meilleures dégustations !
Vieillir c’est donc aussi se bonifier, et il nous incombe de trouver la manière dont nous pouvons révéler nos parfums secrets…
La conscience de la mort, question philosophique fondamentale
La mort, et le vieillissement qui la précède, sont une question centrale dans notre vie. Elle est l’occasion de réflexions philosophiques diverses : comment l’aborder, quel sens lui donner ?
La mort révèle tout le paradoxe de la vie humaine. Nous sommes les seuls êtres à savoir que nous allons mourir un jour. C’est ce qui donne du sens à notre existence, et paradoxalement ce qui nous empêche d’avancer sereinement. Notre conscience et notre capacité de réflexion sont notre atout, et en même temps notre malédiction.
Alors, comme beaucoup le pensent, ne serait-il pas préférable de vivre dans l’ignorance ? Ainsi nous profiterions de chaque jour comme s’il était le dernier ou comme s’il ne devait jamais se terminer, sans angoisse ? L’angoisse est bien le sentiment propre à celui qui sait qu’il va mourir, donc à celui qui vieillit. S’en défaire est une préoccupation très répandue, qui remonte à l’Antiquité grecque. On peut, se rapprocher des philosophes antiques, et plus particulièrement adopter l’une ou l’autre des deux célèbres attitudes à son égard : celle des stoïciens ou celle des épicuriens.
Les stoïciens considèrent le monde et la nature comme un grand Tout, dont tout être fait partie, l’homme inclus. Ce Tout est soumis à des lois nécessaires et indestructibles. L’homme doit donc apprendre à se réconcilier avec son destin, puisque rien n’arrive par hasard et que tout est déterminé. La vraie sagesse est de l’accepter. La liberté réside dans le fait de se soumettre à la nécessité et de l’embrasser. A contrario, celui qui désire ce qui ne dépend pas de lui est un esclave. Cette réconciliation est la clé du repos de l’âme et de l’esprit : je n’ai aucune prise sur ma propre mort. Si ma vie ne dépend pas de moi, il n’y a pas de raison d’être angoissé.
De même, les épicuriens adoptent une philosophie permettant d’accéder à la sérénité. Leur conception du monde est différente de celle des stoïciens : le monde est une totalité infinie et éternelle, dont le fonctionnement est mécanique. Cette vision de la nature ne laisse pas de place à la finalité, à la fatalité ou au destin. La mort n’est donc pas à craindre : tant que je suis vivant, la mort n’est pas, et lorsque la mort est, je ne suis plus. La mort ne nous atteint pas, il n’y a donc aucune source d’angoisse dans le vieillissement.
Ces philosophies anciennes peuvent être une source d’inspiration, en ce qu’elles prônent un détachement et une acceptation de ce qui ne dépend pas de nous. Nous ne devons désirer et redouter que ce qui est en notre pouvoir. Le vieillissement est un phénomène naturel, et le bonheur consiste à embrasser ces lois naturelles qui nous régissent.
Grandir ou vieillir, c’est à nous de choisir
On a le tort, souvent, de considérer le vieillissement comme une maladie, alors qu’il est une étape de la vie. Pour se libérer de l’angoisse qui l’accompagne, il faut l’envisager telle qu’elle est : comme l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, la maturité. Elle a son lot de joies et de douleurs, grandes et petites. Et comme grandir, vieillir est une forme de développement, d’accroissement, qui sera moins visible mais tout aussi épanouissant.
Nous avons tous en tête l’image de cette personne âgée à qui l’on aimerait ressembler, de cette grand-mère au regard doux dont l’amour et la disponibilité pour ses petits-enfants sont désormais toute la vie. Ce grand-oncle passionné qui fait découvrir aux plus jeunes les secrets de son atelier ou de son jardin… Si ce sont des images d’Épinal, il n’est pas inutile de nous les remémorer pour chasser la vision que nous avons des personnes séniles et grabataires qui nous hantent dès que l’on songe à la vieillesse.
Alors qu’en France le pourcentage de personnes âgées de plus de 65 ans est en constante augmentation, et atteint 20 % de la population aujourd’hui, les conseils et idées se multiplient pour apprendre à apprécier cette étape. Aimer vieillir, c’est possible !
Les clés du bien vieillir
Vieillir, c’est vivre différemment.
C’est accepter que le corps ne grandisse plus et que l’esprit perde parfois en agilité. C’est accepter de modifier son rythme, de conclure sa carrière et de changer de métier pour se réinventer. C’est devenir un grand-parent, un amoureux de son jardin, un amateur de jeux, un ami, un artiste en devenir, un lecteur, un passionné de nouveautés ou tout simplement le passionné que l’on a toujours été. C’est encore s’exprimer, se libérer, se réinventer, approfondir, découvrir ou redécouvrir, transmettre à la génération suivante. Vieillir est l’occasion de faire ce que l’on n’a jamais pris le temps de faire, de se projeter sans contraintes.
Bien vieillir, c’est aussi assumer son âge et son statut de retraité, parce qu’on a beaucoup donné, beaucoup travaillé, et ainsi acquis la maturité nécessaire au repos.
C’est accepter d’être un aîné, et donc une source d’admiration, de conseils, de sagesse, d’histoires à raconter. C’est aimer vieillir comme on a aimé grandir.